Culture
 
 

DOSSIER

publié le 10/01/2003

 

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Des indicateurs pour piloter les politiques culturelles locales

Etape postérieure et plus aboutie que la simple production de tableaux de bord, les indicateurs culturels sont en vogue. Mais encore un tantinet abscons, reconnaît-on en toute franchise, ici et là ! Localtis défriche pour vous...

 

Peut-on réduire les politiques culturelles à des indicateurs ? Dans les années 80, le chercheur américain Mark Schuster, du Massachussets Institute of Technology (MIT), avait comparé les principales statistiques en matière de politiques culturelles. D'après ses observations, les tableaux comparatifs produits dans divers pays établissaient tous une hiérarchie différente selon les méthodologies et les biais propres à chaque étude. Il en concluait que le pouvoir des chiffres sur l'esprit devait être contrebalancé par une série de commentaires et de pistes pour la construction des indicateurs. Mais il ajoutait aussitôt que les chiffres sans les analyses n'étaient rien, et que, le plus souvent, ces dernières faisaient cruellement défaut.
On se contente en effet souvent de récolter les chiffres sans trop savoir à quoi ils vont servir par la suite. Or, dans la mise en place d'indicateurs culturels, un important travail en amont est indispensable. Ce travail consiste à déterminer quelles données doivent être récoltées, selon quelle méthode et dans quels buts.
Pour déterminer les données du champ culturel, il faut tout d'abord déterminer celui-ci. Or, il ne se réduit pas à la seule activité du service culturel d'une collectivité. La culture sur un terriroire est en effet l'affaire de plusieurs organisations territoriales, de leurs satellites et de structures indépendantes (associations, fondations, etc). "Nous mesurons la fréquentation de nos spectacles co-organisés, ce qui est déjà bien, précise Myriam Brun-Cavanié, directrice adjointe de l'Institut départemental de développement artistique et culturel de la Gironde, mais il faudrait pouvoir le faire pour l'ensemble des spectacles si nous voulons mesurer l'évolution de la fréquentation globale." A l'heure d'appréhender l'impact d'une action dans le domaine de la culture, ce sont toutes les actions de tous les acteurs qu'il importe de considérer.

L'objectif qualitatif, une exception culturelle

Les données ne peuvent en conséquence se réduire à des chiffres. Si l'information chiffrable doit être considérée, elle doit être complétée par des données non chiffrables. Ces dernières font la particularité de l'action culturelle, elles en sont l'élément qualitatif. Pour Myriam Brun-Cavanié, "il faudrait évaluer ce qui est difficilement quantifiable : l'épanouissement d'un élève touché par une action d'éducation artistique ou l'apport d'un chorégraphe à une compagnie de danse amateur". Et pour les connaître, il faut se tourner vers les acteurs de cette subjectivité, en premier lieu le public. "Ce qui serait significatif de la justesse de notre politique culturelle serait d'arriver à savoir si les abonnés de notre festival du "Printemps des Comédiens" vont de spectacles "faciles" vers des spectacles plus difficiles", explique pour sa part François Deschamps, directeur de la culture au conseil général de l'Hérault et président de Culture et Départements.
Puis, au-delà des données chiffrables ou non, se pose encore le problème de l'environnement socio-économique. Pour Jeannine Cardonna, du Département études et prospectives du ministère de la Culture, "le suivi de l'activité d'une collectivité en matière culturelle doit s'appuyer sur une connaissance générale du contexte dans lequel se développe cette activité. A titre d'exemple, le niveau économique d'une population est indispensable pour éclairer l'analyse de sa participation à la vie culturelle."


Collaborer et consolider

Une fois déterminées les données, il convient ensuite de les recueillir et de les consolider. Pour la première étape du recueil, une très large collaboration est essentielle. La collectivité désireuse d'établir ces indicateurs mettra d'abord à contribution un service interne avant d'identifier, chez tous les acteurs associés, les personnes aptes à lui fournir les informations indispensables à la constitution de bons indicateurs. Une personne ad hoc est ainsi désignée dans chaque institution, qu'il faudra convaincre de collaborer et avec laquelle il faudra mettre au point une terminologie et des modes de calcul communs. Enfin, il conviendra de veiller à récupérer les données en temps utiles. Une autre façon de procéder consiste à suivre l'exemple actuellement en cours d'élaboration en Gironde, où le conseil général, le conseil régional d'Aquitaine, la ville de Bordeaux et la Drac d'Aquitaine travaillent en commun.
La consolidation des données est un point essentiel. En effet, issues de sources différentes, les informations doivent passer à un crible prédéterminé pour obtenir une cohérence qui permettra ensuite leur interprétation. Il faut en quelque sorte avoir préparé d'avance des cases dans lesquelles chaque donnée trouvera sa place. A défaut, l'on risque de se retrouver avec un trop grand nombre de données qui n'entreront dans aucune case et dont, plus tard, l'analyse se révélera impossible.


Sans analyse ni dessein politique, pas de perspectives

Une fois les données récoltées et consolidées, viendra le travail d'analyse. C'est là que le bât blesse souvent , même si chacune des étapes précédentes a donné satisfaction. Le constat est en effet sévère mais juste : quand une collectivité récolte des données elle n'en fait le plus souvent… rien.
Le but de l'analyse est de tirer les leçons du passé et de préparer les actions à venir. Or, souvent exigées par les élus, bon nombre de données récoltées n'ont aucun avenir. Les élus n'ayant parfois pas de dessein précis, ils s'en remettent aux responsables culturels lesquels aimeraient bien connaître le fin fond de la motivation politique derrière tout ça. "Comment définir des objectifs quand les options politiques ne sont pas constantes ? Quand les priorités n'ont pas été listées ?" s'interroge la responsable de la gestion de la culture d'une grande ville.
Si un but a toutefois été fixé, on peut alors mettre les données en perspective (buts initiaux, actions réalisées…) avant d'envisager de nouvelles actions. La mise en perspective des résultats par rapport aux buts initiaux établira une réalité objective à partir de laquelle on établira de nouveaux objectifs rendus nécessaires par les résultats et tenant compte des acquis ou des manques que l'étude aura pu mettre en évidence (actions rectificatives, mise en place de nouveaux objectifs, etc.).
Des bases solides sont alors en place pour que les indicateurs deviennent un véritable guide pour les décideurs en matière culturelle, et ceci d'autant plus qu'ils vont prendre tout leur sens dans le long terme.

Jean Damien Lesay / Ubiqus Content pour Localtis

 

 

 

"Chacun semble à la recherche d'indicateurs mythiques"

Frédéric Lapique est responsable des études à Arteca, centre de ressources de la culture en Lorraine.

Quel rôle joue Arteca dans la collecte d'indicateurs culturels en Lorraine ?

Nous sommes une plateforme commune à l'Etat et aux collectivités locales. Avec le contrat de plan 2000-2006, la prise en compte des indicateurs culturels est devenue plus institutionnelle. Cela s'est traduit par l'inscription de l'observation dans le protocole de décentralisation culturelle, fin 2000. Notre rôle est de rendre l'information accessible. A ce titre, nous organisons des réunions thématiques avec les agents de développement des pays en Lorraine. On a travaillé au départ sur les budgets des collectivités locales et leurs caractéristiques : analyse des financements culturels par grands domaines avec la "même paire de lunettes". On sait ainsi ce qui est dépensé… mais pas encore ce qui est produit. On investit maintenant le champ de la caractérisation des actions culturelles. On a commencé sur le spectacle vivant. Le conseil régional nous demande à terme d'être plus au service des territoires pour les accompagner dans leurs réflexions vers une offre culturelle plus objectivée.

Quelle est votre approche méthodique dans cette mission ?

Nous défendons la dimension du chiffre qui est un rapport au réel. Par ailleurs, les documents produits ne sont diffusés que lorsqu'ils ont fait l'objet de commentaires de la part des acteurs eux-mêmes. Sur les aspects statistiques, la Drac nous aide. En revanche, elle ne nous donne pas de repères au niveau de la définition des indicateurs. Dans ce domaine, j'observe que chacun semble à la recherche d'indicateurs mythiques. Mais les problématiques sont fort complexes. En 2002, nous avons fait un courrier à toutes les collectivités locales pour leur demander quels indicateurs elles utilisaient. On a récupéré des ratios, mais tout cela est très hétérogène. Par ailleurs, la collecte même est une réelle contrainte, même si les choses évoluent. Il y a trop peu de systèmes d'information si l'on excepte la comptabilité pure, déconnectée des réalités culturelles. D'une manière générale, il y a peu de procédures et d'informations statistiques dans le domaine de la culture.

Où en est, aujourd'hui, la mise en place d'indicateurs culturels en Lorraine ?

Le problème de la circulation de l'information pour établir de bons diagnostics se pose toujours. Pour objectiver un discours, il faut aller à la pêche chez les différents opérateurs. Le champ des indicateurs culturels est énorme et nous essayons justement de ne pas trop "saucissonner" les choses, nous évitons de mettre d'un côté les expertises, de l'autre les évaluations, et ailleurs encore les observations. Maintenant que nous avons établi des procédures d'échanges (formats de fichiers, etc.), la prochaine étape est de s'entendre sur des indicateurs communs, y compris des indicateurs qualitatifs. L'expérimentation en cours en Lorraine va nous y aider. Les réunions de la Drac et du conseil régional ont permis de mettre en commun des points de vue. La question de l'emploi culturel est par exemple mieux prise en compte par la Drac. Nous sommes au début d'un travail, mais les politiques doivent déboucher sur quelque chose, sans cela, nous ne produirions que du chiffre pour du chiffre.

 

 

 

Le ministère de la Culture à la recherche de cohérence

Depuis 1982 et les grandes lois sur la décentralisation, les collectivités territoriales s'étaient focalisées sur les équipements culturels. Vingt ans après, c'est la prospective qui retient l'attention. Dans cette optique, la mise en place d'indicateurs est incontournable.
L'Observatoire des politiques culturelles de Grenoble a joué depuis 1991 un rôle important dans ce secteur. Outre l'enseignement de troisième cycle qu'il dispense aux responsables culturels, il est encore l'un des rares instruments d'observation des démarches culturelles au niveau national. Mais si le ministère de la Culture s'est longtemps reposé sur cet organisme, il ressent aujourd'hui la nécessité d'être en première ligne dans la mise en place d'indicateurs culturels.
Une des préoccupations du ministère de la Culture est de rendre les indicateurs partout cohérents et d'éviter que chacun ne fasse sa "cuisine" dans son coin. Pour cela, d'une part il met en place depuis un an et demi des outils d'observation de sa propre action, d'autre part, il participe au cofinancement, à travers les Drac, de l'observation des politiques culturelles en régions dans le cadre du contrat de plan 2000-2006. Le volet territorial du dernier contrat de plan a en effet donné une importante impulsion à la mise en place de réseaux d'observatoires culturels. Neuf régions y ont adhéré à ce jour.

 

 

 

En Gironde, l'union sacrée est décrétée autour de la culture

La réalité économique a mis au pied du mur les responsables de la culture en Gironde. Et le service culturel du conseil général a aujourd'hui la volonté d'évaluer l'impact de sa politique culturelle. Pour lui, il est désormais indispensable de savoir comment les équipements du département sont utilisés.
Auparavant, aucune analyse globale n'existait. Certains secteurs étaient étudiés, d'autres non, et le suivi annuel apparaissait comme trop lâche pour déboucher sur une analyse fine. Mais à l'heure où les crédits optionnels du département sont remis en cause, un choix judicieux en matière de subventions culturelles ne peut être fait qu'en fonction d'une connaissance accrue du terrain.
Parce que les autres collectivités locales ont les mêmes difficultés et parce que toutes interviennent sur les mêmes dossiers, le principe de réunions communes entre le conseil général de la Gironde, le conseil régional d'Aquitaine, la ville de Bordeaux et la Drac a été admis. Ces réunions viseront à mettre en place des outils communs d'analyse de l'impact des politiques culturelles. Elles démarreront en 2003.

 

 

 

Aller plus loin sur le web :

 

Colloque international sur les statistiques culturelles qui s'est tenu du 21 au 23 octobre 2002 à Montréal.

http://www.colloque2002symposium.gouv.qc.ca/h4v_page_accueil_fr.htm

 

Département des études et de la prospective du ministère de la Culture.

http://www.culture.fr/dep/

 

publié le 10/01/2003

 

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