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Des indicateurs pour piloter les politiques culturelles locales
Etape postérieure et plus aboutie que la simple production de tableaux de bord, les indicateurs culturels sont en vogue. Mais encore un tantinet abscons, reconnaît-on en toute franchise, ici et là ! Localtis défriche pour vous...
Peut-on
réduire les politiques culturelles à des indicateurs ? Dans les années
80, le chercheur américain Mark Schuster, du Massachussets Institute of
Technology (MIT), avait comparé les principales statistiques en matière
de politiques culturelles. D'après ses observations, les tableaux
comparatifs produits dans divers pays établissaient tous une hiérarchie
différente selon les méthodologies et les biais propres à chaque étude.
Il en concluait que le pouvoir des chiffres sur l'esprit devait être
contrebalancé par une série de commentaires et de pistes pour la
construction des indicateurs. Mais il ajoutait aussitôt que les
chiffres sans les analyses n'étaient rien, et que, le plus souvent, ces
dernières faisaient cruellement défaut.
On se contente en effet
souvent de récolter les chiffres sans trop savoir à quoi ils vont
servir par la suite. Or, dans la mise en place d'indicateurs culturels,
un important travail en amont est indispensable. Ce travail consiste à
déterminer quelles données doivent être récoltées, selon quelle méthode
et dans quels buts.
Pour déterminer les données du champ culturel,
il faut tout d'abord déterminer celui-ci. Or, il ne se réduit pas à la
seule activité du service culturel d'une collectivité. La culture sur
un terriroire est en effet l'affaire de plusieurs organisations
territoriales, de leurs satellites et de structures indépendantes
(associations, fondations, etc). "Nous mesurons la fréquentation de nos
spectacles co-organisés, ce qui est déjà bien, précise Myriam
Brun-Cavanié, directrice adjointe de l'Institut départemental de
développement artistique et culturel de la Gironde, mais il faudrait
pouvoir le faire pour l'ensemble des spectacles si nous voulons mesurer
l'évolution de la fréquentation globale." A l'heure d'appréhender
l'impact d'une action dans le domaine de la culture, ce sont toutes les
actions de tous les acteurs qu'il importe de considérer.
L'objectif qualitatif, une exception culturelle
Les données ne peuvent en
conséquence se réduire à des chiffres. Si l'information chiffrable doit
être considérée, elle doit être complétée par des données non
chiffrables. Ces dernières font la particularité de l'action
culturelle, elles en sont l'élément qualitatif. Pour Myriam
Brun-Cavanié, "il faudrait évaluer ce qui est difficilement
quantifiable : l'épanouissement d'un élève touché par une action
d'éducation artistique ou l'apport d'un chorégraphe à une compagnie de
danse amateur". Et pour les connaître, il faut se tourner vers les
acteurs de cette subjectivité, en premier lieu le public. "Ce qui
serait significatif de la justesse de notre politique culturelle serait
d'arriver à savoir si les abonnés de notre festival du "Printemps des
Comédiens" vont de spectacles "faciles" vers des spectacles plus
difficiles", explique pour sa part François Deschamps, directeur de la
culture au conseil général de l'Hérault et président de Culture et
Départements.
Puis, au-delà des données chiffrables ou non, se pose encore le
problème de l'environnement socio-économique. Pour Jeannine Cardonna,
du Département études et prospectives du ministère de la Culture, "le
suivi de l'activité d'une collectivité en matière culturelle doit
s'appuyer sur une connaissance générale du contexte dans lequel se
développe cette activité. A titre d'exemple, le niveau économique d'une
population est indispensable pour éclairer l'analyse de sa
participation à la vie culturelle."
Collaborer et consolider
Une fois déterminées les données, il
convient ensuite de les recueillir et de les consolider. Pour la
première étape du recueil, une très large collaboration est
essentielle. La collectivité désireuse d'établir ces indicateurs mettra
d'abord à contribution un service interne avant d'identifier, chez tous
les acteurs associés, les personnes aptes à lui fournir les
informations indispensables à la constitution de bons indicateurs. Une
personne ad hoc est ainsi désignée dans chaque institution, qu'il
faudra convaincre de collaborer et avec laquelle il faudra mettre au
point une terminologie et des modes de calcul communs. Enfin, il
conviendra de veiller à récupérer les données en temps utiles. Une
autre façon de procéder consiste à suivre l'exemple actuellement en
cours d'élaboration en Gironde, où le conseil général, le conseil
régional d'Aquitaine, la ville de Bordeaux et la Drac d'Aquitaine
travaillent en commun.
La consolidation des données est un point essentiel. En effet, issues
de sources différentes, les informations doivent passer à un crible
prédéterminé pour obtenir une cohérence qui permettra ensuite leur
interprétation. Il faut en quelque sorte avoir préparé d'avance des
cases dans lesquelles chaque donnée trouvera sa place. A défaut, l'on
risque de se retrouver avec un trop grand nombre de données qui
n'entreront dans aucune case et dont, plus tard, l'analyse se révélera
impossible.
Sans analyse ni dessein politique, pas de perspectives
Une fois les données récoltées et
consolidées, viendra le travail d'analyse. C'est là que le bât blesse
souvent , même si chacune des étapes précédentes a donné satisfaction.
Le constat est en effet sévère mais juste : quand une collectivité
récolte des données elle n'en fait le plus souvent… rien.
Le but de l'analyse est de tirer les leçons du passé et de préparer les
actions à venir. Or, souvent exigées par les élus, bon nombre de
données récoltées n'ont aucun avenir. Les élus n'ayant parfois pas de
dessein précis, ils s'en remettent aux responsables culturels lesquels
aimeraient bien connaître le fin fond de la motivation politique
derrière tout ça. "Comment définir des objectifs quand les options
politiques ne sont pas constantes ? Quand les priorités n'ont pas été
listées ?" s'interroge la responsable de la gestion de la culture d'une
grande ville.
Si un but a toutefois été fixé, on peut alors mettre les données en
perspective (buts initiaux, actions réalisées…) avant d'envisager de
nouvelles actions. La mise en perspective des résultats par rapport aux
buts initiaux établira une réalité objective à partir de laquelle on
établira de nouveaux objectifs rendus nécessaires par les résultats et
tenant compte des acquis ou des manques que l'étude aura pu mettre
en évidence (actions rectificatives, mise en place de nouveaux
objectifs, etc.).
Des bases solides sont alors en place pour que les indicateurs
deviennent un véritable guide pour les décideurs en matière culturelle,
et ceci d'autant plus qu'ils vont prendre tout leur sens dans le long
terme.
Jean Damien Lesay / Ubiqus Content pour Localtis