De
1980 à 1990, le budget culturel de l’Etat doublait quand celui des
collectivités territoriales triplait, ce qui démontre le rôle qu'elles
jouent dans toute politique culturelle ! Un enrichissement de l’offre
locale qui s’est accompagné d’une transformation de l’emploi culturel.
Entre des emplois-jeunes sans certitudes sur leur avenir et des jeunes
diplômés qui doivent se faire une place auprès des responsables
installés, la mutation est aussi stimulante… que problématique.
Longtemps
pratiqués dans un esprit socioculturel, les métiers de la culture ont
connu un véritable courant de légitimation dans les années 1980. Des
formations universitaires de gestion culturelle ont vu le jour tandis
que Jack Lang - ministre de la Culture - proposait en 1993 "22 mesures
pour protéger le statut d'intermittent du spectacle". René Rizzardo,
directeur de l'Observatoire des pratiques culturelles, affirme : "Cette
professionnalisation est l'élément qui a le plus structuré et
crédibilisé l'activité culturelle dans les collectivités
territoriales." Les années 1990 ont été celles de
"l’institutionnalisation" des métiers de la culture. Les collectivités
territoriales ont souhaité les fonctionnariser. Objectif : faire en
sorte que des concours du Centre national de la fonction publique
territoriale (CNFPT) soient mis en place afin que les directeurs des
affaires culturelles et les attachés entrent dans des logiques de
fonction publique. La fonctionnarisation a parfois donné lieu à des
difficultés dans les collectivités, les maires devant privilégier les
recrutements de fonctionnaires au détriment des contractuels. La mise
en place des emplois-jeunes en 1997 a achevé de bouleverser la donne en
introduisant de nouveaux acteurs qui doivent répondre à des besoins
nouveaux. Il est ainsi apparu un profil de médiateurs culturels ayant
un niveau de qualification élevé et occupant des postes polyvalents. Un
médiateur chargé de la valorisation du patrimoine devra par exemple
mener des recherches bibliographiques, recueillir des témoignages,
participer à la gestion des lieux ou aux actions de communication. Si
cette polyvalence est souvent formatrice, elle peut également prendre
la forme d’un empilement anarchique de tâches. L’avenir de ces emplois
passera donc par une meilleure définition des profils de poste.
Confrontations de statuts et de logiques Pendant ce temps-là, de nombreux titulaires de ces contrats
sont attirés par les concours de la fonction publique. Mais la
titularisation n’est pas toujours satisfaisante dans la mesure où la
collectivité n’a pas forcément de poste à offrir dans la définition du
nouveau statut, alors qu’elle pouvait offrir un poste en tant
qu’emploi-jeune ! Les récentes mesures de pérennisation de ces emplois
apporteront peut-être une réponse à ce paradoxe. Elles répondront aussi
à la question du devenir de ces nouvelles fonctions. En effet, alors
que l'Etat est censé supprimer son aide au bout de cinq ans, que
deviendront ceux qui exercent ces métiers ? Leur avenir dépendra en
partie de la reconnaissance de leur utilité par les citoyens. Une
utilité d’autant plus difficile à mesurer que rares sont les
collectivités qui évaluent l'impact des emplois-jeunes.
Les mutations en cours posent également le problème de la "culture" de
l'emploi culturel. Les dernières évolutions ont montré que les nouveaux
gestionnaires de la culture pouvaient entrer en conflit avec les
équipes en place. Des conflits qui peuvent naître de questions de
logique de travail ou de statut. Dans le cas des emplois-jeunes, les
tensions sont souvent dues à des différences de statut. Soumis à des
contrats de droit privé, les emplois-jeunes ne voient pas leurs
salaires alignés sur les grilles de rémunération des fonctionnaires. De
plus, les définitions de poste parfois imprécises de ces emplois
rendent difficile leur insertion au sein d’une équipe. Pour leur part,
les diplômés des nouvelles filières culturelles adoptent une posture
innovante, moins respectueuse des structures en place et plus ouverte
au monde. Entre l’expérience des anciens et la fougue des plus jeunes,
une position médiane devra là aussi être trouvée. Ces confrontations ne
doivent toutefois pas masquer l'immense bénéfice des évolutions en
cours : le renouvellement de la pratique de l'action culturelle.
Sophie Jacolin / Ubiqus pour Localtis
"La fonctionnarisation a permis dattirer les meilleurs professionnels"
Jean-Michel
Djian est l'ancien directeur du "Monde de léducation", directeur du
DESS Coopération artistique internationale de luniversité Paris VIII
et auteur de nombreux ouvrages dont "La Politique culturelle", Le Monde
Editions.
Quelles sont les conséquences de la fonctionnarisation des emplois culturels dans les collectivités locales ?
Cette
fonctionnarisation a dabord été bénéfique car elle a aidé à légitimer
les métiers culturels et à attirer les meilleurs professionnels.
Néanmoins, on constate une forme de perversité de ce statut depuis la
fin des années 1990. Désormais, les fonctionnaires de la culture ne
sont plus forcément des militants qui participent à lémancipation des
artistes. Ils sont plutôt du côté des collectivités& et travaillent
à lémancipation de la collectivité.
Comment les nouveaux
gestionnaires culturels issus des filières universitaires
cohabitent-ils avec les anciens praticiens de la culture ?
Lancienne
génération a un grand respect pour lEtat-nation. Selon elle, le
ministère de la Culture doit apporter des fonds et assumer les
responsabilités. A l'inverse, les jeunes travaillent dans une logique
internationale et comptent moins sur largent public. Les "anciens" ont
de nombreuses vertus à transmettre, notamment la nostalgie dun esprit
dengagement réel. Ils ont appris le collectif par le militantisme, le
politique, le syndicalisme ou léducation populaire. Si les jeunes
sinvestissent souvent dans lart pour "recréer le monde", ils ne
savent pas, en revanche, susciter dengagement collectif.
Les nouvelles formations aux métiers de la culture peuvent-elles contribuer à résorber la précarité de lemploi culturel ?
Il
faut relativiser la précarité de lemploi culturel. Je défends par
exemple lintermittence, car elle allie un cadre institutionnel de
travail à lobligation de mener des projets à durée déterminée, qui
sont le postulat même de la culture. La conséquence de cela n'est pas
forcément une précarité demploi, mais une gestion du travail sur la
durée. La précarité existe malgré tout car cette mentalité nest pas
partagée par tous. Il faut aussi avoir le courage de dire que ceux qui
se plaignent de la précarité ne sont pas toujours les meilleurs&
Les spécificités de l’emploi culturel en bref...
Malgré sa professionnalisation, l’emploi culturel reste un secteur
à part. Haut niveau d’études et… précarité en sont les maîtres mots.
Diplôme
La moitié des titulaires d’emplois culturels ont un niveau d’études
générales égal ou supérieur à bac +2, contre un quart des actifs des
autres professions.
Indépendance
Plus d'un quart des titulaires d’emplois culturels ne sont pas
salariés et travaillent à leur compte, soit deux fois plus que
l'ensemble des actifs.
Mobilité
31% des titulaires d’emplois culturels travaillent dans la même
entreprise depuis plus de dix ans, contre 42% de l’ensemble des actifs.
Précarité
Un salarié du secteur culturel sur cinq est en contrat à durée
déterminée, une situation qui ne concerne que 7% de l’ensemble des
actifs des autres secteurs.
Temps partiel
Un quart des titulaires d’emplois culturels travaillent à temps partiel. Ce n'est le cas que pour 17% de l’ensemble des actifs.
Les nouvelles formations culturelles
Administrateur
d'entreprise culturelle, agent de développement culturel, médiateur
culturel ou encore consultant en ingénierie culturelle… voici
quelques-unes des fonctions nées de la professionnalisation des métiers
de la culture. Une vingtaine de Deug, vingt-cinq DESS, des DUT et
d'autres cursus privés permettent de se former à ces fonctions. Ces
filières sélectionnent des étudiants ayant multiplié les expériences
dans le domaine culturel, qu’elles soient associatives ou liées à une
pratique artistique en amateur. "Nous devons détecter très tôt ceux qui
ont une véritable vocation à exercer ce métier", souligne Jean-Michel
Djian, directeur du DESS Coopération artistique internationale de
l’université Paris VIII. Pour lui, la formation doit s’adapter aux
projets défendus par les étudiants. Le champ culturel est aussi un
secteur économique. Ces filières proposent donc des modules comptables
ou juridiques. Principal problème : cette abondance de formations
n'offre pas des débouchés à tous. De brillants diplômés commencent
souvent avec des contrats précaires ou un statut d’emploi-jeune à peine
mieux rémunéré que le Smic. D’autres se tournent vers les concours de
la fonction publique territoriale.
Les emplois-jeunes, nouveaux métiers de la culture ?
Mis
en place en octobre 1997, le programme "emplois-jeunes" est une aide à
la création d’activités nouvelles répondant à des besoins
insuffisamment satisfaits. Dès le lancement du programme, le secteur
culturel a été identifié comme l’un des plus favorables à
l’expérimentation, comme le relate une enquête du département des
études et de la prospective du ministère de la Culture publiée en 2001.
Un an après le lancement du programme, la culture était déjà le
troisième secteur d’embauche des emplois-jeunes, derrière le secteur
social et l’environnement. A la fin du mois de décembre 2000, 15.000
jeunes travaillaient dans le secteur culturel par ce biais. Des trois
catégories d’employeurs visées par le programme (associations,
collectivités territoriales et établissements publics), ce sont les
associations qui ont le plus profité du dispositif.
Pour les collectivités territoriales, l’embauche d’emplois-jeunes vise
avant tout à satisfaire une demande sociale et culturelle et à répondre
à des besoins émergents. Ces jeunes ont donné naissance à trois
principales formes d’action culturelle : l’accélération de la
modernisation des équipements, par exemple avec le développement des
technologies dans les médiathèques ; la valorisation du territoire
communal, notamment grâce à la mise en valeur d’un élément du
patrimoine local ; le renforcement de la cohésion sociale par le biais
des pratiques artistiques et culturelles et la recherche de nouveaux
publics.
Aller plus loin sur le web :
Sur Cortex, toutes les formations publiques et privées aux métiers de la culture
http://www.cortex-culturemploi.com
Aide pour de nouveaux emplois-jeunes (Anej)
http://www.anej.org
Nouveaux services emplois-jeunes (NSEJ), pour aider les employeurs