Culture
 
 

DOSSIER

publié le 20/06/2002

 

 © Laurence Peltier

Les mutations de l’emploi culturel

De 1980 à 1990, le budget culturel de l’Etat doublait quand celui des collectivités territoriales triplait, ce qui démontre le rôle qu'elles jouent dans toute politique culturelle ! Un enrichissement de l’offre locale qui s’est accompagné d’une transformation de l’emploi culturel. Entre des emplois-jeunes sans certitudes sur leur avenir et des jeunes diplômés qui doivent se faire une place auprès des responsables installés, la mutation est aussi stimulante… que problématique.

 

Longtemps pratiqués dans un esprit socioculturel, les métiers de la culture ont connu un véritable courant de légitimation dans les années 1980. Des formations universitaires de gestion culturelle ont vu le jour tandis que Jack Lang - ministre de la Culture - proposait en 1993 "22 mesures pour protéger le statut d'intermittent du spectacle". René Rizzardo, directeur de l'Observatoire des pratiques culturelles, affirme : "Cette professionnalisation est l'élément qui a le plus structuré et crédibilisé l'activité culturelle dans les collectivités territoriales." Les années 1990 ont été celles de "l’institutionnalisation" des métiers de la culture. Les collectivités territoriales ont souhaité les fonctionnariser. Objectif : faire en sorte que des concours du Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) soient mis en place afin que les directeurs des affaires culturelles et les attachés entrent dans des logiques de fonction publique. La fonctionnarisation a parfois donné lieu à des difficultés dans les collectivités, les maires devant privilégier les recrutements de fonctionnaires au détriment des contractuels. La mise en place des emplois-jeunes en 1997 a achevé de bouleverser la donne en introduisant de nouveaux acteurs qui doivent répondre à des besoins nouveaux. Il est ainsi apparu un profil de médiateurs culturels ayant un niveau de qualification élevé et occupant des postes polyvalents. Un médiateur chargé de la valorisation du patrimoine devra par exemple mener des recherches bibliographiques, recueillir des témoignages, participer à la gestion des lieux ou aux actions de communication. Si cette polyvalence est souvent formatrice, elle peut également prendre la forme d’un empilement anarchique de tâches. L’avenir de ces emplois passera donc par une meilleure définition des profils de poste.

Confrontations de statuts et de logiques
Pendant ce temps-là, de nombreux titulaires de ces contrats sont attirés par les concours de la fonction publique. Mais la titularisation n’est pas toujours satisfaisante dans la mesure où la collectivité n’a pas forcément de poste à offrir dans la définition du nouveau statut, alors qu’elle pouvait offrir un poste en tant qu’emploi-jeune ! Les récentes mesures de pérennisation de ces emplois apporteront peut-être une réponse à ce paradoxe. Elles répondront aussi à la question du devenir de ces nouvelles fonctions. En effet, alors que l'Etat est censé supprimer son aide au bout de cinq ans, que deviendront ceux qui exercent ces métiers ? Leur avenir dépendra en partie de la reconnaissance de leur utilité par les citoyens. Une utilité d’autant plus difficile à mesurer que rares sont les collectivités qui évaluent l'impact des emplois-jeunes.
Les mutations en cours posent également le problème de la "culture" de l'emploi culturel. Les dernières évolutions ont montré que les nouveaux gestionnaires de la culture pouvaient entrer en conflit avec les équipes en place. Des conflits qui peuvent naître de questions de logique de travail ou de statut. Dans le cas des emplois-jeunes, les tensions sont souvent dues à des différences de statut. Soumis à des contrats de droit privé, les emplois-jeunes ne voient pas leurs salaires alignés sur les grilles de rémunération des fonctionnaires. De plus, les définitions de poste parfois imprécises de ces emplois rendent difficile leur insertion au sein d’une équipe. Pour leur part, les diplômés des nouvelles filières culturelles adoptent une posture innovante, moins respectueuse des structures en place et plus ouverte au monde. Entre l’expérience des anciens et la fougue des plus jeunes, une position médiane devra là aussi être trouvée. Ces confrontations ne doivent toutefois pas masquer l'immense bénéfice des évolutions en cours : le renouvellement de la pratique de l'action culturelle.

Sophie Jacolin / Ubiqus pour Localtis

 

 

 

"La fonctionnarisation a permis dattirer les meilleurs professionnels"

Jean-Michel Djian est l'ancien directeur du "Monde de léducation", directeur du DESS Coopération artistique internationale de luniversité Paris VIII et auteur de nombreux ouvrages dont "La Politique culturelle", Le Monde Editions.

Quelles sont les conséquences de la fonctionnarisation des emplois culturels dans les collectivités locales ?

Cette fonctionnarisation a dabord été bénéfique car elle a aidé à légitimer les métiers culturels et à attirer les meilleurs professionnels. Néanmoins, on constate une forme de perversité de ce statut depuis la fin des années 1990. Désormais, les fonctionnaires de la culture ne sont plus forcément des militants qui participent à lémancipation des artistes. Ils sont plutôt du côté des collectivités& et travaillent à lémancipation de la collectivité.

Comment les nouveaux gestionnaires culturels issus des filières universitaires cohabitent-ils avec les anciens praticiens de la culture ?

Lancienne génération a un grand respect pour lEtat-nation. Selon elle, le ministère de la Culture doit apporter des fonds et assumer les responsabilités. A l'inverse, les jeunes travaillent dans une logique internationale et comptent moins sur largent public. Les "anciens" ont de nombreuses vertus à transmettre, notamment la nostalgie dun esprit dengagement réel. Ils ont appris le collectif par le militantisme, le politique, le syndicalisme ou léducation populaire. Si les jeunes sinvestissent souvent dans lart pour "recréer le monde", ils ne savent pas, en revanche, susciter dengagement collectif.

Les nouvelles formations aux métiers de la culture peuvent-elles contribuer à résorber la précarité de lemploi culturel ?

Il faut relativiser la précarité de lemploi culturel. Je défends par exemple lintermittence, car elle allie un cadre institutionnel de travail à lobligation de mener des projets à durée déterminée, qui sont le postulat même de la culture. La conséquence de cela n'est pas forcément une précarité demploi, mais une gestion du travail sur la durée. La précarité existe malgré tout car cette mentalité nest pas partagée par tous. Il faut aussi avoir le courage de dire que ceux qui se plaignent de la précarité ne sont pas toujours les meilleurs&

 

 

 

Les spécificités de l’emploi culturel en bref...

Malgré sa professionnalisation, l’emploi culturel reste un secteur à part. Haut niveau d’études et… précarité en sont les maîtres mots.

Diplôme

La moitié des titulaires d’emplois culturels ont un niveau d’études générales égal ou supérieur à bac +2, contre un quart des actifs des autres professions.

Indépendance

Plus d'un quart des titulaires d’emplois culturels ne sont pas salariés et travaillent à leur compte, soit deux fois plus que l'ensemble des actifs.

Mobilité

31% des titulaires d’emplois culturels travaillent dans la même entreprise depuis plus de dix ans, contre 42% de l’ensemble des actifs.

Précarité

Un salarié du secteur culturel sur cinq est en contrat à durée déterminée, une situation qui ne concerne que 7% de l’ensemble des actifs des autres secteurs.

Temps partiel

Un quart des titulaires d’emplois culturels travaillent à temps partiel. Ce n'est le cas que pour 17% de l’ensemble des actifs.

 

 

 

Les nouvelles formations culturelles

Administrateur d'entreprise culturelle, agent de développement culturel, médiateur culturel ou encore consultant en ingénierie culturelle… voici quelques-unes des fonctions nées de la professionnalisation des métiers de la culture. Une vingtaine de Deug, vingt-cinq DESS, des DUT et d'autres cursus privés permettent de se former à ces fonctions. Ces filières sélectionnent des étudiants ayant multiplié les expériences dans le domaine culturel, qu’elles soient associatives ou liées à une pratique artistique en amateur. "Nous devons détecter très tôt ceux qui ont une véritable vocation à exercer ce métier", souligne Jean-Michel Djian, directeur du DESS Coopération artistique internationale de l’université Paris VIII. Pour lui, la formation doit s’adapter aux projets défendus par les étudiants. Le champ culturel est aussi un secteur économique. Ces filières proposent donc des modules comptables ou juridiques. Principal problème : cette abondance de formations n'offre pas des débouchés à tous. De brillants diplômés commencent souvent avec des contrats précaires ou un statut d’emploi-jeune à peine mieux rémunéré que le Smic. D’autres se tournent vers les concours de la fonction publique territoriale.

 

 

 

Les emplois-jeunes, nouveaux métiers de la culture ?

Mis en place en octobre 1997, le programme "emplois-jeunes" est une aide à la création d’activités nouvelles répondant à des besoins insuffisamment satisfaits. Dès le lancement du programme, le secteur culturel a été identifié comme l’un des plus favorables à l’expérimentation, comme le relate une enquête du département des études et de la prospective du ministère de la Culture publiée en 2001. Un an après le lancement du programme, la culture était déjà le troisième secteur d’embauche des emplois-jeunes, derrière le secteur social et l’environnement. A la fin du mois de décembre 2000, 15.000 jeunes travaillaient dans le secteur culturel par ce biais. Des trois catégories d’employeurs visées par le programme (associations, collectivités territoriales et établissements publics), ce sont les associations qui ont le plus profité du dispositif.
Pour les collectivités territoriales, l’embauche d’emplois-jeunes vise avant tout à satisfaire une demande sociale et culturelle et à répondre à des besoins émergents. Ces jeunes ont donné naissance à trois principales formes d’action culturelle : l’accélération de la modernisation des équipements, par exemple avec le développement des technologies dans les médiathèques ; la valorisation du territoire communal, notamment grâce à la mise en valeur d’un élément du patrimoine local ; le renforcement de la cohésion sociale par le biais des pratiques artistiques et culturelles et la recherche de nouveaux publics.

 

 

 

Aller plus loin sur le web :

 

Sur Cortex, toutes les formations publiques et privées aux métiers de la culture

http://www.cortex-culturemploi.com

 

Aide pour de nouveaux emplois-jeunes (Anej)

http://www.anej.org

 

Nouveaux services emplois-jeunes (NSEJ), pour aider les employeurs

http://www.emploisjeunes-idf.org

 

publié le 20/06/2002

 

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