Culture
 
 

DOSSIER

publié le 29/08/2003

 

 © R Damoret / REA

Le mécénat en faveur des collectivités locales va-t-il enfin décoller ?

Les dons du secteur privé en faveur des collectivités territoriales ne sont pas monnaie courante. La toute récente réforme des incitations fiscales en faveur du mécénat et le volontarisme du ministère de la Culture pourraient cependant encourager une pratique encore jugée archaïque.

 

La réforme du mécénat est, d'après les dires de Jean-Jacques Aillagon, ministre de la Culture, "une des priorités du gouvernement". Dans toute la communication qui a entouré la présentation de cette réforme, le ministre de la Culture s'est évertué à mettre en avant le fossé qui sépare la France des Etats comparables en matière de mécénat. Et s'il ne fallait retenir qu'un chiffre pour toucher du doigt la réalité, ce serait, d'un côté les 2,1% du PIB que représente l'apport du mécénat aux Etats-Unis, de l'autre le 0,09% de ce même apport au PIB en France. Pour expliquer ce chiffre, il faut se reporter à une autre réalité : seuls 15% des Français donnent à des oeuvres d'intérêt général pour un volume annuel inférieur au milliard d'euros ; quant aux "généreuses entreprises", elles seraient moins de deux mille pour un total de dons annuels d'environ 340 millions d'euros.
Dans ces conditions que l'on pourrait qualifier d'"extrêmes", la réforme vise à relancer, par la voie des incitations fiscales (voir "Les mesures fiscales" ci-dessous), la participation de la société civile aux actions d'intérêt général. Si par société civile, il faut entendre particuliers et entreprises, le syntagme "actions d'intérêt général" regroupe quant à lui des activités conduites par des entités fort différentes.
C'est instinctivement aux associations, et en particulier à un type spécifique de celles-ci - les fondations -, que l'on pense lorsqu'on évoque le mécénat. "Réceptacle naturel" de la générosité publique en toute matière, et notamment en matière de culture, associations et fondations ne sont pourtant pas seules à attendre de substantiels subsides du mécénat. A leurs côtés, les grands équipements culturels de l'Etat et des collectivités locales, et demain les établissements publics de coopération culturelle du secteur non-lucratif, espèrent également les dons de généreux mécènes. Et leurs besoins sont grands...

Un mécénat archaïque

L'éligibilité des collectivités locales au bénéfice du mécénat culturel est une question qui s'est posée pour le ministère de la Culture à l'heure de préparer sa réforme. Si rien a priori ne s'opposait à ce que communes, départements et régions reçoivent des dons, François Erlenbach, le "Monsieur Mécénat" du ministère, a cependant dû faire exhumer une réponse ministérielle de 1994 dans laquelle on affirmait cette éligibilité pour mieux s'en convaincre. Cette position a permis à Jean-Jacques Aillagon d'associer les collectivités locales à l'Etat dans sa présentation de la loi devant le Sénat le 13 mai dernier. Un épisode qui n'est pas anecdotique… Il dénote en effet l'imperméabilité de deux univers qui ont pourtant beaucoup à partager : les collectivités locales d'un côté, les entreprises mécènes dans le domaine de la culture de l'autre. A propos de cette barrière, François Erlenbach avoue : "Lorsque j'étais secrétaire général de la ville de Cannes, je n'ai jamais pensé à faire appel au mécénat, même si j'ai vu des mécènes se présenter d'eux-mêmes." A quoi peut-on attribuer cette frilosité ? Selon M. Erlenbach, "la raison de cette attitude tient dans le manque d'information et dans les mentalités. Le mécénat n'est pas dans notre culture. En France, on pense trop souvent que les pouvoirs publics doivent pourvoir à tout sans que les citoyens ou le secteur privé ne soient impliqués." Jean-Luc Tobie, conseiller pour les musées à la Drac d'Aquitaine, ne dit pas autre chose : "Aujourd'hui le mécénat en faveur des musées des collectivités locales peut paraître d'un type archaïque et ne concerne en tout cas qu'un nombre restreint de grandes entreprises, essentiellement dans le secteur financier."

Des domaines de prédilection

C'est précisément de ce type archaïque que la réforme du mécénat entend sortir, en amenant les dons de petites et moyennes entreprises, aujourd'hui en retrait dans ce domaine. Et si les incitations fiscales se montrent aptes à mobiliser des mécènes, une chose est certaine : leur générosité ne sera pas vaine, les musées des collectivités locales, pour ne citer qu'eux, ayant de véritables besoins en la matière.
Parmi les domaines de prédilection de l'intervention de mécènes, il y la restauration des œuvres. Pour Jean-Luc Tobie, "si la restauration est le domaine dans lequel le mécénat peut le mieux fonctionner, c'est parce qu'on assiste d'un côté à une augmentation des coûts, due notamment à une technicité accrue des interventions, et que, d'un autre côté, en ces temps d'interrogation sur le développement durable, les entreprises recherchent à lier leur image à celle d'une œuvre qui passe à travers les épreuves du temps". Et le conseiller pour les musées à la Drac d'Aquitaine d'ajouter : "Les collectivités ne sont pas aujourd'hui prêtes à investir autant qu'il le faudrait dans des actions de conservation préventive ou restaurative." D'où un intérêt renouvelé pour le mécénat que la réforme actuelle vient justement soutenir.
De leur côté, les entreprises éprouvent parfois de la réticence à donner de l'argent à une mairie dans le but d'en faire bénéficier un musée local. En effet, comme le confirme Anne-Gaële Duriez, responsable des questions juridiques d'Admical, "le lien direct avec une collectivité locale possède une dimension politique que récuse le mécène".

Un élan en région

Du côté du ministère de la Culture, on est prêt à mettre des moyens dont l'incitation au mécénat n'avait encore jamais profité. Jean-Jacques Aillagon devrait en effet intervenir auprès du ministère des Finances pour qu'une instruction visant à faciliter l'obtention des avantages fiscaux liés au mécénat soit adressée aux centres des impôts. Une façon de faire cesser les interprétations dissonantes du passé. Et puis surtout, François Erlenbach va prendre son bâton de pèlerin pour convaincre collectivités locales et entreprises de collaborer. Dans cette perspective, un effort de pédagogie demeure, il est vrai, indispensable. "Deux ou trois collectivités m'ont déjà appelé, avoue François Erlenbach, mais c'était pour me demander de l'argent ! Je les ai donc renvoyées vers des entreprises de leur région." Une erreur d'allumage qui devrait bien vite être réparée par la grande disponibilité affichée du nouveau "Monsieur Mécénat" qui promet : "Je me tiens prêt à me déplacer pour expliquer les nouvelles dispositions et les avantages du mécénat."
De leur côté, les mécènes semblent disposés à aider au rayonnement des actions culturelles, particulièrement en région. Comme le note Anne-Gaële Duriez, "il y a une tendance à la décentralisation des actions de mécénat. De plus en plus de clubs d'entreprises se créent pour aider un musée ou un opéra… Et la question de l'éligibilité des collectivités territoriales m'est souvent posée". Décidément, un effort de pédagogie sans précédent s'impose dans la matière pour, enfin, faire décoller le mécénat culturel dans les collectivités territoriales.

Jean Damien Lesay / Verbe online pour Localtis

 

 

 

"Je vais inciter les PME à se diriger vers des sujets à vocation culturelle"

François Erlenbach est chargé de mission auprès du ministre de la Culture pour le mécénat culturel.

Vous avez été récemment nommé "Monsieur Mécénat" par le ministre de la Culture. En quoi va consister votre action ?

Une fois la loi définitivement adoptée, je prendrai mon bâton de pèlerin et rendrai visite aux Drac, aux chambres de commerce et d'industrie, ainsi qu'aux conseils généraux et aux maires des grandes villes. Lors de ces déplacements, mon rôle consistera à expliciter les nouvelles règles du mécénat et à développer entre tous les acteurs un véritable réseau où la culture du mécénat soit toujours présente. Par ailleurs, j'aurai dans chaque Drac un correspondant local spécialiste du mécénat.

Comment vous y prendrez-vous pour aider les collectivités locales à mieux profiter du mécénat ?

Connaissant bien les collectivités locales, je suis à même de les conseiller en les rencontrant. Mais avant cela, elles doivent affiner leurs projets. Sur un projet phare au niveau régional, on fera tout ensemble pour amener des entreprises à financer ce projet. J'irai voir les conseils régionaux et les conseils généraux en fonction de leurs attributions respectives en matière de culture.

Justement, ne craignez-vous pas une concurrence entre les bénéficiaires potentiels de la générosité privée ?

Non, je ne crains pas de conflits d'intérêts entre musées ou entre collectivités par exemple : il s'agit de complémentarité. Les grands musées font aujourd'hui appel à un mécénat composé de grandes entreprises, souvent internationales. Mon action va surtout se situer au niveau des PME : je vais les inciter à se diriger vers des sujets à vocation culturelle existant dans les associations mais également dans les collectivités locales. Elles pourront alors aider à l'acquisition et à la restauration d'oeuvres, au soutien à l'art contemporain ou aux festivals. Pour moi, toutes ces actions vont concourir à la valorisation culturelle. Aux collectivités de faire connaître leurs projets !

 

 

 

La dation, ou comment payer ses impôts avec des oeuvres d'art

Manière originale de payer ses impôts, la dation a encore récemment permis d'enrichir les collections de musées territoriaux.

Quelle procédure ?

La dation permet le paiement d'une dette fiscale en nature, par dérogation au principe fiscal selon lequel le paiement de l'impôt doit se faire dans la monnaie ayant cours légal. Elle a pour but de favoriser le maintien des oeuvres d'art et objets de collection sur le territoire national. Elle est régie par l'article 2 de la loi 68-1251 du 31 décembre 1968 qui dispose que "tout héritier, donataire ou légataire peut acquitter les droits de succession par la remise d'oeuvres d'art, de livres, d'objets de collection ou de documents de haute valeur artistique ou historique". Les droits sur les mutations à titre gratuit entre vifs, le droit de partage et l'impôt de solidarité sur la fortune peuvent aussi être réglés par dation (loi de finances rectificative pour 1982 82-540 du 28 juin 1982).
La procédure de la dation a été fixée par le décret du 10 novembre 1970, modifié le 11 février 1982 (art. 1131, 1716 bis et 1723 ter du Code général des impôts ; art. 310G et 384A de l'annexe II du Code général des impôts). Pour bénéficier de cette mesure, un contribuable doit déposer une demande à la recette des impôts indiquant la nature et la valeur de l'objet offert en dation, sa demande est ensuite transmise à la commission interministérielle d'agrément composée d'un président nommé par le Premier ministre, de deux représentants du ministère de l'Economie et des Finances et de deux représentants du ministère de la Culture. La commission demande alors aux musées concernés par les objets de les expertiser puis émet un avis sur leur intérêt patrimonial et sur leur valeur. Enfin, le ministre des Finances, sur proposition du ministre concerné par l'offre, accepte ou refuse l'agrément puis notifie sa décision au contribuable qui en accuse réception.

Quels résultats ?

Depuis 1972, année de sa première application, la dation a permis l'enrichissement des collections publiques. Le musée Picasso a notamment été créé à partir des œuvres remises en dation par les héritiers de l'artiste. On estime à 14,7 millions d'euros la valeur annuelle moyenne des œuvres remises en dation depuis 1972. En 2002, un record en la matière a été battu avec des dations s'élevant à 50,5 millions d'euros.
En mars 2003, Jean-Jacques Aillagon, ministre de la Culture, et Alain Lambert, ministre délégué au Budget, ont annoncé l'entrée dans les collections du musée d'Orsay de sept peintures de première importance de Maurice Denis, Edouard Vuillard et Charles Laval, acceptées par l'Etat en dation en 1999 et 2001. Cinq de ces peintures seront mises en dépôt dans des musées de France, des dépôts qui selon Jean-Jacques Aillagon "s'inscrivent dans le mouvement de la décentralisation [et vont dans le sens de la reconnaissance du] rôle des collectivités locales en matière de culture". Les musées destinataires sont le musée Maurice-Denis de Saint-Germain-en-Laye, le musée Toulouse-Lautrec d'Albi, les musées des beaux-arts de Lyon et de Quimper, et le musée de Grenoble.

 

 

 

Saint-Etienne, un exemple de mécénat à l'échelle régionale

Le musée d'art moderne de Saint-Etienne, qui dépend de la communauté d'agglomération Saint-Etienne Métropole, est un bon exemple d'établissement culturel qui a su jouer avec le tissu économique local pour développer le mécénat en sa faveur.

Contrairement aux grands musées nationaux qui bénéficient surtout du mécénat par le biais d'entreprises nationales, voire internationales, et le plus souvent issues du monde de la finance, le musée d'art moderne de Saint-Etienne a su faire appel à des entreprises emblématiques de sa région pour trouver de nouvelles ressources financières. Avec un important dépôt de la Caisse des dépôts et consignation en 1995 (cinquante-huit oeuvres représentant les courants majeurs des années 1970 à 1980 confiées pour dix ans à l'établissement stéphanois), le musée n'est pas oublié des plus grands mécènes hexagonaux. Mais c'est incontestablement son partenariat avec le groupe Casino, et dans une moindre mesure avec la Banque populaire de la Loire et d'autre entreprises stéphanoises, qui s'est avéré le plus fructueux ces dernières années.

Cercle vertueux

Conclu sur une base triennale depuis 1988, date d'ouverture de l'établissement, le contrat liant le musée d'art moderne de Saint-Etienne et Casino a été renouvelé sans interruption avec à la clé une enveloppe annuelle de trois millions de francs (environ 200.000 euros) jusqu'en 2003. Ce partenariat a permis au musée de constituer une des plus belles collections d'art moderne en France, particulièrement pour la période des années 1970, et de monter de nombreuses expositions, en un mot de créer un cercle vertueux qui a eu pour conséquence d'attirer l'attention de la CDC au moment où celle-ci souhaitait trouver un "hébergeur" de qualité pour ses oeuvres.
Depuis mars 2003 cependant, Casino s'est tourné vers le mécénat humanitaire et la recherche de subsides privés s'est avérée difficile pour Elisabeth Delaigue, chargée du mécénat au musée d'art moderne de Saint-Etienne : "Les budgets en communication sont en baisse et le mécénat n'est pas la priorité des entreprises", note-t-elle.

Relancer un mécénat plus modeste

Mais depuis quelques mois, les mesures gouvernementales annoncées en faveur de la relance du mécénat ont permis à Elisabeth Delaigue de mettre en avant les atouts présents et à venir du mécénat pour l'entreprise. "En termes d'image, explique-t-elle, notre musée véhicule la modernité. Au niveau civique, il est également important aujourd'hui de pouvoir s'associer à une démarche culturelle. Et puis nos mécènes peuvent bénéficier de visites spéciales pour leur clientèle et leur personnel ou encore profiter de nos installations pour des réunions. Nos collections et nos ateliers pour adultes ou enfants sont remarquables et constituent eux aussi des atouts pour les mécènes." Et puis, paradoxalement, le retrait de Casino pourrait favoriser un mécénat plus modeste : "Un groupe qui donne beaucoup, comme ce fut le cas de Casino pour nous pendant des années, peut effrayer de potentiels mécènes. Combien de fois ai-je été obligée de répéter le montant que nous octroyait Casino devant des interlocuteurs incrédules", explique Elisabeth Delaigue.
Avec l'aide d'Admical et le soutien de la communauté d'agglomération Saint-Etienne Métropole, Elisabeth Delaigue va donc repartir en quête de mécènes pour son musée. Son projet est d'organiser très bientôt une rencontre avec les entrepreneurs de la région… rencontre à laquelle François Erlenbach, Monsieur Mécénat du ministère de la Culture, sera le bienvenu.

 

 

 

Les mesures fiscales

Les principales mesures fiscales d'incitation au mécénat votées par le Parlement diffèrent selon que le donateur est un particulier ou une entreprise.

Pour ce qui est des particuliers, la loi dispose que :

- la réduction d'impôt est de 60% du montant du don (contre 50% auparavant) ;
- le plafond de la réduction d'impôt est de 20% du revenu imposable (contre 10% auparavant) ;
- au-delà de ce plafond de 20% du revenu imposable, les donateurs ont la possibilité d'étendre sur cinq ans l'avantage fiscal né de leur don ;
- les donateurs, héritiers d'une succession, bénéficient d'une exonération totale des droits de succession sur leur don aux fondations et aux associations reconnues d'utilité publique. Le bénéfice des réductions fiscales, y compris celles prévues par les articles 200 et 238 bis du Code général des impôts, s'applique également aux dons reçus par l'Etat, les collectivités territoriales, et leurs établissements publics pour leurs activités non-lucratives.

Pour ce qui est des entreprises, la loi dispose que :

- la réduction d'impôt est de 60% du montant du don consenti à une association, une fondation ou une œuvre d'intérêt général ;
- le plafond de la réduction d'impôt est de 0,5% du chiffre d'affaires de l'entreprise (contre 0,225% ou 0,325% auparavant).

Rappelons que la loi 2002-5 du 4 janvier 2002 relative aux musées de France avaient institué des avantages fiscaux pour les entreprises qui contribuent au maintien sur le territoire des "trésors nationaux" :
- réduction de l'impôt sur les sociétés égale à 90% des versements effectués pour l'acquisition par l'Etat ou toute personne publique d'un trésor national destiné à une collection publique, dans la limite de 50% de l'impôt dû,
- réduction de l'impôt sur les sociétés égale à 40% des dépenses d'acquisition d'un trésor national pour le compte de l'entreprise.

Deux amendements adoptés en seconde lecture par l'Assemblée nationale intéressent particulièrement l'action des collectivités territoriales :
- l'octroi du bénéfice du mécénat des entreprises aux organismes publics, à gestion désintéressée et assujettis à la TVA, qui exercent leur activité dans les domaines du spectacle vivant et du cinéma ;
- l'extension aux services d'archives et aux bibliothèques du dispositif permettant de recevoir en dépôt certaines oeuvres qui étaient auparavant réservées aux musées ; il s'agit là essentiellement de manuscrits de grandes valeur.

 

 

 

Aller plus loin sur le web :

 

Dossier sur la réforme du mécénat et des fondations, sur le site du ministère de la Culture.

http://www.culture.gouv.fr/culture/actualites/politique/mecenat/index-mecenat.htm

 

Historique du projet de loi sur le mécénat, sur le site de l'Assemblée nationale.

http://www.assemblee-nationale.fr/12/dossiers/mecenat.asp

 

Admical, association de promotion du mécénat d'entreprise en France.

http://www.admical.asso.fr

 

publié le 29/08/2003

 

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